Visite au squat Wilson: Entrez dans un autre monde
Quelques jours après la visite de Volkan et Lee au Squat Wilson en compagnie d'Ariel, Victoria a proposé de retourner une fois dans ce lieu de vie improvisé. Nous nous sommes donc rendus là-bas à deux, à l'improviste, mais avons eu quelques difficultés à trouver le squat : l'absence d'indications dans cette zone industrielle ou tout se ressemble nous a poussé à nous hasarder dans une cour dont la grille d'entrée, entrouverte, laisse perplexe quant aux éventuels occupants de la structure adjacente.
Caravanes délabrées, décorations faites main, vélos et autre table de ping pong nous assurèrent que l'endroit était le bon …. et nous minèrent le moral. Le silence régnait à l'extérieur du bâtiment gris, un éclat de couleur émanant ponctuellement d'une décoration ou d'une autre, avec un « SOLEIL » affiché sur les grandes vitres, ou UNITY sur des planches à terre par exemple.
Enfin, nous trouvons la porte d'entrée, entrouverte elle aussi. Victoria frappe à la porte, et nous entrons dans ce qui s'apparente à un ancien garage ou entrepôt.
Au cœur de la salle, des canapés, des tables ordonnées face à un petit poste de télévision et un seul et unique ordinateur, entouré de petites enceintes.
5 ou 6 jeunes hommes se trouvaient là. L'un d'eux – C – nous accueillit et nous proposa un thé. Nous nous sommes salués poliment les uns les autres, mais avons eu un peu de mal à nous intégrer au début ; Il faut dire que nous étions venus à l'improviste.
Nouvelles rencontres, et visite du squat
Après avoir finalement ouvert le dialogue avec plusieurs habitants du squat, nous en avons finalement appris davantage sur eux. H travaillait sur ses exercices d'économie et nous a posé quelques questions sur notre projet. Il vit dans une famille d'accueil mais connait bien les habitants du squat, aussi nous a-t-il recommandé de ne pas hésiter à aller vers eux. Nous apprenons qu'il y a environ 25 habitants dans ce bâtiment, mais le chiffre évolue parfois. Il n'y a que des hommes au squat Wilson.
A la télé, une émission de football était diffusée, et lors de la publicité, C nous a proposé de venir voir la cuisine et les chambres – ou plutôt la chambre. Les bruits de la télé sont remplacés par un air de reggae africain aux sonorités riches, émanant des enceintes.
La cuisine est nichée dans la salle annexe, et il n'y a pas de porte. Diverses provisions, dont quantité de légumes, sont rangées proprement près du frigo, dans des tables de rangement qui semblent montées à la main.C nous dit que la douche et les toilettes sont à l'extérieur du bâtiment, dans des préfabriqués.
C nous mène alors à la chambre, à l'étage. Près d'une trentaine de personnes se partagent cette salle sous le toit. Les lits de fortune sont rangés les uns quasi-collés aux autres ; Deux ou trois habitants dorment encore en cette matinée de dimanche. C nous expose alors les problèmes du dortoir
les chauffages marchent difficilement. Il peut arriver que des coupures surviennent, et elles ne sont pas toujours faciles à régler.
Le toit lui-même protège mal du froid. Un étudiant est venu la semaine précédente poser une toile renforcée au dessus des charpentes, mais les courants d'air subsistent. Les nuits sont loin d'être agréables, la chaleur devient un luxe.
Une partie du toit laisse passer les gouttes de pluie, dans l'un des recoins du dortoir ou sont alignés quelques sacs de couchage, régulièrement utilisés. Dormir au sec devient un luxe.
→ J'écris ces lignes peu après notre visite, en Novembre, et les manteaux n'étaient déjà pas de trop dans le dortoir.
Nous demandons à C si nous pouvons prendre quelques photos, des lieux et des personnes qui s'y trouvent, et lui expliquons le projet plus en détail. Mettre au jour certaines réalités pour essayer de faire évoluer les choses est une perspective qui peut lui plaire, mais il nous recommande vivement de demander cette autorisation au « Chef » des lieux, Y.
Le récit d'un « réfugié »
Un peu plus tard, tandis que nous attendons la venue de Y, nous rencontrons D dans la salle principale. D nous parle volontiers de son parcours. Guinéen d'origine, il a du affronter l'enfer de la Libye et de la traversée de la Méditerranée. Il nous parle de la guerre, la famine et de la peur, omniprésentes dans ces régions. Forcé de quitter la Guinée en raison de la famine, D a du passer par la Libye. « Là-bas c'est la guerre » nous dit-il, et quitter le pays est l'unique objectif.
La traversée de la Méditerranée reste un cauchemar pour lui. Entassés dans les embarcations par dizaines, c'est le risque de voir le « bateau » chavirer qui est présent dans les esprits. Des heures en étant entourés d'eau. D insiste sur cette image. On en vient à « se demander s'il y a une fin », ou si c'est leur nouveau monde, leur monde définitif.
« C'est important de parler de ça, sinon, ça forme une boule dans le ventre » explique D. L'instant est particulier, fort en émotions.
Mais la bonne humeur de D le pousse à vouloir en savoir plus sur nous, nos passions, nos études, nos vies. Nous parlons musique, et il s'avère que S, juste à coté de nous, adore chanter. Nous parlons voyages et nous parlons de bien des choses. C'est sûrement le moment le plus agréable de la journée !
Les règles du squat
D nous en dit plus sur le squat Wilson.
L'organisation est claire : tous les jours, deux ou trois habitants sont chargés de s'occuper de la cuisine pour tout le monde, du ménage, de l'entretien. C'est le chef, le plus âgé, Y, qui s'occupe des tâches administratives, et qui répartit les rôles.
Pour habiter ici, il faut adhérer à une Charte, qui dispose différents principes et règles de savoir vivre. En voici quelques exemples :
Les insultes et les bagarres sont strictement interdites
Chacun doit accomplir ses tâches correctement
Pas de cigarette à l'intérieur
Pas d'alcool
Ces règles servent à entretenir une certaine cohésion et une organisation cruciale pour la vie au squat.
Nous avons ensuite rencontré Y. Comme il parle un peu moins bien français, D nous a aidé à communiquer. Y et D. s’étaient rencontré à Eilin, un squat nantais qui fut fermé par les forces de l’ordre l’année dernière. Il en est arrivé à prendre la responsabilité du squat Wilson, et à en faire un nouveau lieu de vie pour les prochaines arrivants.
Ne pas oublier, ne rien occulter.
Y nous autorise à prendre des photos, c'est l'occasion de revoir l'ensemble des lieux en compagnie de D, et de faire une photo avec quelques habitants présents dans la salle. J'ai utilisé mon appareil photo et Victoria s'est résignée à utiliser son téléphone … Dommage que son polaroid ait quelques dysfonctionnements.
Le fait d'être venus sans être accompagnés par un membre du Collectif avait rendu notre intégration plus difficile, car il a fallu briser la glace et apprendre à se connaître. Mais cela nous a probablement permis d'échanger avec plus de résidents, d'entendre plus de choses, plus de récits, et de mieux nous imprégner de la vie au squat.
En cuisine, deux « colocataires » commencent à préparer le déjeuner, comme le veut la règle. Nous sommes restés encore un peu avec les habitants du squat, et nous les avons remerciés. Ils avaient accepté que deux inconnus entrent dans leur lieu d'habitation, essaient d'en savoir plus sur leur quotidien et sur leur histoire, et prennent quelques photos. Vraiment, on ne pourra pas oublier cette journée.
De notre côté, nous leur avons dit que cette expérience était un moyen de faire savoir, de faire connaître cette réalité, la réalité.
Pas celle qui est inscrite dans les textes de loi ou, parfois, dans les légendes des journaux télévisés. Pas celle qui ressort des discussions de comptoir, ou des grands débats publics.
Mais bien celle connue quotidiennement par les « migrants ». Loin d'affronter les idées de Gauche ou de Droite, ceux-là ont affronté la famine, et la guerre. Et ils affrontent aujourd'hui le froid, la pluie, et l'insalubrité. Et pourtant, ils nous ont parlé avec le sourire, et ont partagé volontiers avec nous les récits de leurs vies.
Je conclurais simplement avec ceci : Sincèrement, je tiens à ce que ces photos, ce projet et ces écrits vous poussent, vous qui me lisez, à en savoir plus sur ces personnes. Nous avons bien des problèmes en France, les personnes dans la rue, celles dans les squats, la pauvreté, la misère ….
Pourquoi ne sommes-nous pas capables de juste loger décemment ces gens, ces humains ?